Aujourd’hui, on parle beaucoup d’émotions, d’hypersensibilité, de régulation émotionnelle.

Mais il existe une réalité dont on parle beaucoup moins, alors qu’elle touche énormément de personnes : l’alexithymie.

Ce mot un peu étrange décrit quelque chose de très simple à vivre, mais très difficile à expliquer :

👉 “Je sens quelque chose… mais je ne sais pas quoi.”

Et dans ma pratique, je rencontre souvent des personnes qui ne manquent pas d’émotions, mais qui manquent de mots pour les dire, de clarté pour les comprendre, ou de lien pour les ressentir pleinement.

Et cela change tout.

🧠 L’alexithymie, c’est quoi au juste ?

L’alexithymie n’est pas un trouble, ni un défaut, ni un manque d’empathie.

C’est un mode de fonctionnement émotionnel, un peu comme si :

🟡 les émotions étaient bien là,

🟡 le corps réagissait,

🟡 mais le cerveau avait du mal à relier tout ça à une signification.

On distingue généralement trois grandes dimensions :

✨ Identifier : difficulté à reconnaître ce que l’on ressent

(“Je ne sais pas si je suis triste ou fatigué.”)

✨ Décrire : difficulté à mettre des mots précis sur son vécu intérieur.

✨ Penser à l’extérieur : tendance à analyser les faits, plutôt qu’à explorer ce qu’on ressent.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’émotions.

Cela signifie que le pont émotion → mots ne s’est jamais bien construit, ou s’est fragilisé avec le temps.

👀 Au quotidien, ça ressemble à quoi ?

Certaines phrases reviennent très souvent chez les personnes alexithymiques :

• “Je sais que je devrais être triste… mais je ne ressens rien.”

• “Je pleure sans comprendre pourquoi.”

• “Je sens quelque chose dans mon corps, mais je ne sais pas ce que c’est.”

• “J’ai mal au ventre, mais je ne sais pas si c’est du stress, de la faim ou juste une sensation vague.”

• “On me dit que je suis froid, mais en fait… je ne sais juste pas quoi dire.”

Ces personnes peuvent paraître calmes ou détachées.

En réalité, elles sont déconnectées de la lecture émotionnelle, ce qui peut entraîner :

🟠 fatigue émotionnelle ou somatique

🟠 confusion corporelle

🟠 difficultés relationnelles (“Je ne sais pas comment réagir quand quelqu’un pleure.”)

🟠 parfois, des explosions émotionnelles quand rien n’a été identifié avant que ça déborde

🔬 Dans quels contextes la retrouve-t-on ?

Les recherches montrent qu’environ 10 % de la population générale présente un niveau élevé d’alexithymie.

Mais elle apparaît encore plus souvent dans certains contextes cliniques :

📘 Autisme

Environ 50 % des personnes autistes présentent une alexithymie significative.

Beaucoup des difficultés émotionnelles associées au TSA sont liées à l’alexithymie, pas uniquement à l’autisme lui-même.

📙 Trouble de Stress Post-Traumatique

Environ 40 % des personnes avec un TSPT présentent une alexithymie élevée.

Ce n’est pas un “refroidissement volontaire”, mais une difficulté à décoder ce qui se passe à l’intérieur.

📕 Dépression & anxiété

Les émotions sont floues, lourdes, difficiles à saisir.

Cela augmente les ruminations, la détresse et les plaintes corporelles.

📒 Troubles alimentaires & addictions

Quand on ne peut pas identifier une émotion, le corps ou les comportements deviennent des moyens de régulation.

📓 Maladies somatiques & douleurs chroniques

Le corps devient le seul langage disponible.

On parle de douleurs floues, sans cause apparente, mais très réelles.

📔 Attachement insécure & traumatismes précoces

Quand ressentir a été dangereux dans l’enfance, l’enfant apprend à se couper de ses émotions pour survivre…

L’adulte garde ce mécanisme.

⚠️ Alexithymie ≠ Dissociation

Même si elles peuvent coexister.

🟡 Alexithymie :

Les émotions sont présentes, confuses, difficiles à comprendre.

On ressent, mais sans pouvoir décoder.

🟠 Dissociation :

Le système nerveux coupe temporairement l’accès aux émotions.

La personne est là, mais comme “à l’extérieur d’elle-même”.

🌱 Que faire quand on a du mal à ressentir ou identifier ses émotions ?

L’objectif n’est pas de “réveiller” les émotions d’un coup, mais de reconstruire petit à petit un langage intérieur.

Voici des pistes simples et concrètes :

🟩 Nommer approximativement

Dire “je suis mal à l’aise, peut-être fatigué” vaut mieux que “je ne sais pas”.

🟦 Observer les signaux du corps

Où ça serre ? Où ça chauffe ?

Le corps est souvent le premier indicateur.

🟨 Tenir un journal sensoriel

Situation → sensation → pensée → hypothèse d’émotion → réaction.

🟫 Utiliser des supports visuels

Roue des émotions, cartes, couleurs, métaphores sensorielles.

🟧 Travailler la régulation émotionnelle

Ancrages, respiration, auto-compassion, routines apaisantes.

🟪 S’appuyer sur un proche

“D’après toi, quelle émotion je vis ?”

🟩 Pratiques d’interception douce

Yoga, body-scan, pleine conscience adaptée.

Petit à petit, le lien se reconstruit.

⭐ Ce que les familles doivent retenir

✔️ L’alexithymie n’est pas un manque d’émotions.

✔️ Les personnes alexithymiques ne sont pas froides : elles sont perdues dans leur monde intérieur.

✔️ Le corps parle souvent avant la tête.

✔️ Ce fonctionnement peut venir de l’enfance, de l’attachement, du stress, ou de vécus traumatiques.

✔️ On peut vraiment progresser, à tout âge.

L’alexithymie n’est pas une faiblesse.

C’est une manière d’avoir survécu quand le monde intérieur était trop intense, trop confus ou trop dangereux à explorer.

Avec le temps, le soutien et les bons outils, ce langage peut se reconstruire.